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Les Ferrari et les Lada

10h24 – 24/10/2023

Par Mélissa Tremblay, Coordonnatrice numérique

Avez-vous vu les images des nouvelles maisons des aînés? Celles de Roberval et de Chicoutimi-Nord? Sublimes n’est-ce pas? Ah ce qu’on pouvait lire la fierté dans les visages de notre ministre régionale Andrée Laforest et de sa collègue Sonia Bélanger, la ministre responsable des aînés, lors de l’inauguration de ces belles bâtisses. Sérieux, on dirait des hôtels 5 étoiles. Toutefois, la construction de ces nouveaux établissements provoque une injustice flagrante.

Avertissement; loin de moi l’intention de décrier l’idée de mieux accompagner nos aînés en perte d’autonomie, bien au contraire. Je suis bien placé pour juger des besoins, ma propre mère ayant séjourné dans trois résidences différentes. J’ai pu me rendre compte des besoins des CHSLD, en en visitant quelques-uns, mais surtout en parlant au personnel. Or plusieurs préposées et gestionnaires ont confirmé mes observations. En construisant les nouvelles maisons à des sommes devenues astronomiques, la CAQ a choisi d’acheter des Ferrari pour une petite minorité, en fermant les yeux sur les besoins des autres établissements qui ont pourtant eux aussi de grands besoins.

Petite remise en contexte. Dès l’arrivée des premiers cas de Covid, les éclosions en CHSLD déciment un grand nombre de bénéficiaires, en raison de leurs conditions déjà précaires. La conclusion de François Legault: on a laissé tomber nos personnes âgées, il faut agir de toute urgence. Sa solution, les maisons des aînés, un modèle novateur d’hébergement centré sur la qualité de vie des résidents. En plus des aînés en lourde perte d’autonomie, elles accueilleront également des personnes adultes ayant une déficience physique, une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme. Un objectif louable, nous en convenons tous. Sur papier, c’est un beau projet, mais qui, dans les faits, a déparé pas à peu près.

D’abord les coûts. Les retards, l’explosion du prix des matériaux, la pénurie d’employés, les défauts de construction, les problèmes de livraison d’équipement, tout cela mis ensemble a décuplé le budget. Le coût par chambre, d’abord évalué à environ 450000$, a dépassé les 800000$, presque le double. Les 3 maisons des aînés du Saguenay–Lac-Saint-Jean ont coûté finalement 240 millions, pour un total de... 120 bénéficiaires par établissement.

 

Or savez-vous combien il y a de résidents dans les autres CHSLD de la région? Réponse: 1 900 personnes, sans compter les dizaines attendant une place. La semaine dernière, la fille d’une patiente de la nouvelle maison de Roberval lui a dit qu’elle avait gagné à la loterie. Elle a bien raison. Mais on a déshabillé Paul pour habiller Jacques.

On a tout mis dans les maisons des aînés pendant qu’ailleurs, les autres CHSLD manquent d’amour. Des fenêtres qui ferment mal, des plafonds suspendus sans tuile qui laissent voir la plomberie et les câbles électriques, des briques extérieures qui s’effritent, des toits en fin de vie utile, des étages fermés si bien qu’on entasse des patients dans les ailes restantes. J’ai vu tout ça sans aller bien loin. Heureusement, le personnel est incroyablement attentif, altruiste et compétent.

 

On peut aussi se demander si les maisons des aînés répondent vraiment aux besoins réels des adultes handicapés. N’aurait-il été plus judicieux d’investir dans le maintien à domicile et dans l’amélioration des services existants? À près d’un million de dollars par chambre, me semble qu’avec cet argent on aurait pu leur permettre de rester chez eux.

On a longtemps reproché à Québec d’avoir toléré un système de santé à deux vitesses, mais force est de constater qu’il vient maintenant de créer aussi des CHSLD à deux vitesses: des Ferrari et des Lada.