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La saignée médiatique

15h33 – 21/11/2023

Par Alexandra Gilbert, Directrice numérique

On a amplement parlé de la crise des médias dans les dernières semaines. L’abolition de 547 postes chez TVA a remis à l’avant-scène une situation qui ne cesse de se détériorer depuis bon nombre d’années.

Je ne m’étendrai pas sur les nombreux commentaires que j’ai vus circuler sur les réseaux sociaux de personnes se réjouissant des difficultés de TVA autrement que pour dire qu’il est plutôt minable que de se féliciter de voir des gens perdre leur emploi.

Ce triste phénomène rappelle la chose suivante : un nombre grandissant de nos concitoyens éprouvent bien peu de sympathie envers les médias. Ces gens s’inscrivent sur un spectre assez large qui va de l’indifférence jusqu’à la haine viscérale. Et on vous laisse deviner lesquels sont les plus vocaux.

Les médias ne sont sans doute pas blancs comme neige. L’industrie au sens large a plus d’une tache à son dossier et est mûre, dans bien des cas, pour une bonne séance d’introspection. En information, cela dit, pour ceux et celles qui sont capables de démêler la chronique d’opinion de la nouvelle journalistique, il se fait du très bon journalisme neutre au Québec (bien qu’il faille parfois faire abstraction des titres un peu racoleurs).

Derrière cette crise des médias se cache un enjeu bien plus sérieux que celui de l’avenir de tel ou tel autre média: celui de la culture québécoise, de sa portée et de sa vigueur face à un voisin américain qui a tout pour l’écraser.

Il n’y a personne qui fera vivre la culture québécoise si ce n’est nous-mêmes. Laisser les médias québécois dépérir, aussi imparfaits soient-ils, c’est laisser la culture québécoise se dissoudre dans le grand tout, car elle perd son principal vecteur. Ce ne sera pas une mort instantanée, évidemment, mais plutôt une longue agonie.

Pour citer ce bon vieux Falardeau: « Si on choisit de s’écraser, si on choisit de s’allonger, le monde y vont s’essuyer les pieds sur nous autres. Pis les peuples qui meurent, ça meurt longtemps. Pis c’est douloureux, pis ça fait mal. Faque, si vous décidez d’abandonner ça va être bin long, pis ça va être tough. Vous avez besoin d’être tough.»

Il parlait ici d’indépendance, mais la portée d’une culture qui se laisse mourir est la même.

On voit aller les grandes plateformes numériques (presque toutes américaines, en passant) et on conçoit assez rapidement qu’on ne pèse pour rien dans la balance. La tentative d’Ottawa de faire quelque chose avec C-18  en est un exemple patent. On peut bien soulever que cette tentative était imparfaite, ou mal adaptée, mais la réaction de Meta (Facebook) en dit long sur la réalité et sur ce qui nous attend.

Il faut agir sur ce que nous contrôlons. Les médias sont encore la fenêtre à travers laquelle on se voit, on se reconnait et on se constitue culturellement comme peuple et comme citoyens. Oui, la télévision québécoise a sans doute besoin de se réinventer. Oui, les médias doivent trouver une façon d’intéresser un public jeune qui a grandi avec le numérique. Oui, il faut trouver un autre modèle pour financer le journalisme.

Si la réponse était si simple, ce fameux modèle, on l’aurait trouvé. On ne parlerait pas de transformation numérique depuis 10 ou 15 ans en sachant très bien que dans le modèle économique actuel, ça ne marche pas.

La question est la suivante: a-t-on le temps de trouver une voie de passage pour les médias québécois avant qu’il ne soit trop tard? C’est peut-être un manque d’objectivité de ma part, mais ces médias mal-aimés, quelque chose me dit qu’on les regrettera une fois qu’on ne les aura plus.
 

Chaque semaine, un membre de l’équipe de Trium Médias prend parole sur un sujet de son choix, c’est La Jasette de la gazette